Une interrogation sur le conflit entre politique migratoire et Humanité

Une interrogation sur le conflit entre politique migratoire et Humanité

Grand H (pour Grande Humanité) est un documentaire polyphonique sur l’engagement et la prise de responsabilité citoyennes, sur le rôle et l’importance de la société civile dans les questions migratoires, à travers les témoignages de 15 personnes montés en un dialogue de 62 minutes.

Qui sont les participants ? Et comment les avez-vous sélectionnés ?

Les participants sont un demandeur d’asile, des citoyennes engagées, des responsables et activistes d’ONG, une enseignante en classe d’accueil, un avocat en droit d’asile, un psychiatre, une journaliste, un anthropologue et le ministre des Affaires étrangères. Ce sont pour la majorité des personnes qui se démènent chaque jour dans l’ombre, souvent au détriment de leur vie privée, pour rendre le monde un peu plus juste. J’ai un grand respect pour leur travail et leur obstination. Elles livrent toutes des discours mesurés, sensés. Il s’agit de personnes qui ont les pieds sur terre et non de rêveurs. Je travaille avec la plupart depuis longtemps puisque je suis à l’origine de la campagne de sensibilisation I’m not a Refugee (https://iamnotarefugee.lu) et d’autres projets d’inclusion. Je suis cofondatrice, avec Marianne Donven et Pascal Clément, de OH Oppent Haus – Open Home, une plateforme qui permet aux résidents d’accueillir un réfugié à leur domicile. Nous avons ainsi déjà permis à 77 personnes de quitter le foyer. Nous avons aussi créé Chiche !, un restaurant qui emploie des personnes éloignées du marché de l’emploi : réfugiés, demandeurs d’asile ou résidents.

Pourquoi avoir choisi de donner la parole à des citoyens et des professionnels engagés, et non à des réfugiés ?

Pour éclairer les failles du système d’asile et de l’accueil des personnes déplacées, il me semblait naturel de donner la parole à celles et ceux qui sont au plus près des migrants. Mon intention n’était pas tant de montrer leur travail, que les conditions, le contexte dans lequel il s’inscrit et leur ressenti par rapport à leur engagement.

Pourquoi pas des réfugiés ? D’abord parce que je l’ai fait durant 18 mois pour I’m not a Refugee et que cela a été très difficile à gérer pour moi. C’est une chose de lire des témoignages de personnes exilées, c’en est une autre d’entendre ces récits de vive voix, surtout quand on n’est pas formée et très empathique. Ensuite, parce qu’il y a une grande responsabilité à fixer les gens pour l’éternité dans une catégorisation. C’est assez délicat de travailler avec des demandeurs d’asile dans la mesure où ces personnes sont, du fait de leur situation administrative, très vulnérables. Souvent elles acceptent de livrer leurs témoignages mais le regrettent après coup, notamment lorsqu’elles ont obtenu le statut de réfugié. Alors elles souhaitent juste retrouver une vie normale et ne plus être le ou la réfugié(e). Et c’est compréhensible.

Pourquoi avoir axé le film sur la procédure d’asile ?

Parce que c’est une étape administrative extrêmement anxiogène et donc douloureuse vue l’issue incertaine de la procédure qui se solde après des mois ou des années d’attente soit par un refus soit par l’obtention de la protection internationale. C’est en cas de refus de protection que naissent les tensions les plus graves entre la société civile, les demandeurs d’asile et le gouvernement. Environ 60 % des demandeurs d’asile n’obtiennent pas le statut et doivent retourner dans leur pays d’origine. Pour le ministère, il s’agit de numéros de dossier, mais pour les personnes qui les accompagnent de manière bénévole ou professionnelle, et bien sûr pour les personnes déboutées, c’est dramatique.

Quel est le rôle de la société civile dans la question migratoire ?

Outre la ré-humanisation, il est de veiller et de dénoncer ce qui ne fonctionne pas au niveau gouvernemental. Ce qui est problématique au Luxembourg, c’est entre autres la longueur et l’opacité des procédures d’asile qui détruit les gens, le fait de les placer dans des foyers à long terme et en marge de la société, de leur refuser un accès effectif à l’emploi, d’enfermer des enfants dans un centre de rétention administratif. En ce qui concerne la ré-humanisation, il est important de comprendre que chaque citoyen a une responsabilité et un pouvoir d’humanisation énormes. D’ailleurs, les projets d’intégration qui fonctionnent le mieux sont ceux qui permettent la rencontre et l’échange entre résidents et exilés. Les ONG font un travail très important en comblant les lacunes gouvernementales d’accueil et d’intégration. Elles revendiquent aussi l’application stricte du cadre légal. Pour l’accès au travail des demandeurs d’asile, si on veut vraiment faire bouger les choses durablement, il faut carrément changer les cadres légaux. C’est pourquoi les tensions entre gouvernement et société civile sont saines et nécessaires.

Mélanie Trélat

Grand H sera programmé à Utopia à partir du 10 octobre.
Plus d’informations sur www.grandh.net
Légende photo d’illustration : Frédérique Buck auteure-réalisatrice par Fanny Krackenberger

Dossier du mois Infogreen « Objectif Terre »

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Publié le mercredi 10 octobre 2018
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