Un secteur indigné, un ministère surpris

Un secteur indigné, un ministère surpris

La fameuse lettre ouverte évoquant des « pratiques inquiétantes » dans les institutions pour personnes en situation de handicap et demandant un contrôle externe continue de susciter des commentaires sur le terrain. Les premiers concernés n’ont pas été consultés, encore moins avertis.

« La lettre ouverte a été adressée au gouvernement. C’est à ce niveau que le dossier devra être débattu ». Au ministère de la Famille, qui a le Handicap dans ses attributions, des responsables du service semblent surpris par la « sortie » conjointe du comité de concertation des droits de l’homme, du centre pour l’égalité de traitement et du service de l’Ombudsman (relire ici). Sans en minimiser la portée : « Le contenu de cette lettre ne peut pas laisser indifférent et nous le prenons au sérieux ».

Cela étant, au sein du service ministériel, pas du tout évoqué dans la lettre ouverte même s’il est concerné au premier chef, on rappelle quelques évidences. S’il délivre les agréments aux institutions qui accueillent des personnes en situation de handicap - agrément qui se base notamment sur les infrastructures, les normes d’encadrement ou les qualifications du personnel -, il n’a pas de pouvoir de contrôle. « Mais il y a un quand même un suivi, via une plateforme de coordination par exemple, ou des réunions régulières, avec les institutions de terrain qui y sont représentées. Quand un problème est signalé, parfois directement au ministère, nous pouvons en référer aux institutions compétentes. Il y a aussi des associations, comme Info-Handicap, qui sont très à l’écoute des questions de terrain et qui pourraient ester en justice au besoin ».

Inacceptable

Les gestionnaires de services pour personnes en situation de handicap se disent, dans un communiqué commun (relire ici) sous l’égide de la FEDAS - fédération des acteurs du secteur social au Luxembourg – « consternés » et « indignés », entre autres parce que, « à aucun moment, aucun des trois signataires de cette lettre ouverte n’a contacté un des organismes du secteur. Si les diverses situations isolées dénoncées s’avèrent réelles, il est primordial pour nous d’être avertis au plus vite afin de pouvoir prendre les bonnes décisions en ayant entendu l’ensemble des parties prenantes ». Les situations décrites « devraient être portées à la connaissance des autorités compétentes actuelles qui assument des contrôles réguliers dans leurs domaines », en l’occurrence le ministère de la Famille ou l’administration d’Évaluation et de Contrôle de l’assurance dépendance, souligne le communiqué.

Sur le fond, les gestionnaires de services, qui se disent « conscients que le risque zéro de maltraitance n’existe pas », rappellent aussi : la « qualité de vie des personnes que nous accompagnons, et de leurs familles, est le leitmotiv de nos services ».

En privé, un responsable d’institution déplore la méthode : « Ces accusations sont un véritable camouflet à notre travail. Comme si la dignité de la personne handicapée n’était pas dans nos priorités quotidiennes ! Nous balancer ça à la figure, alors qu’on vient de traverser une très difficile période de confinement, pour nous et pour nos pensionnaires, et que peu de monde s’est soucié de la façon dont nous, encadrants et personnes accompagnées, le vivions, c’est violent. C’est offensant, presque de la diffamation. C’est inacceptable ».

Le premier domino

Contacté par Infogreen, Gilbert Pregno, président de la CCDH, s’attendait à une mauvaise compréhension du combat mené, avec le CET notamment, depuis plusieurs années. « Nous avons conscience d’avoir bougé le premier domino. Nous voulons provoquer une discussion, sans jeter le discrédit sur le travail de terrain, mais en sensibilisant sur une attitude générale, sur la place que l’on doit accorder dans ce pays à l’autodétermination, aux droits et à la dignité de la personne porteuse de handicap ».

L’idée défendue est, non pas d’ajouter une instance, mais de charger un service existant - en l’occurrence celui du Médiateur (l’ombudsfra actuelle, Claudia Monti), qui ne masque pas sa candidature - de nouvelles compétences, du potentiel recueil de doléances ou de témoignages, afin, d’une part, de traiter chacune dans sa spécificité avec les organes compétents et, de l’autre, de regrouper le cas échéant les dossiers pour « mettre le doigt dans la plaie » voire porter en justice. « Nous ne parlons pas de maltraitance, mais de transgression, de manque de respect, de faits qui nous sont rapportés et qui méritent d’être instruits, afin d’améliorer le système et de rendre ses droits à chacun », précise M. Pregno.

Pour le CCDH, le CET et l’Ombudsman, il faut donc une instance « d’écoute et de suivi » afin d’éviter l’écueil de la « dépendance administrative et financière qui existe de facto entre les institutions et le ministère ». La lettre ouverte, qui a déboulé entre le déconfinement progressif et les congés d’été, « a pris du retard » explique Gilbert Pregno. Et nul n’exclut que la période délicate née de COVID-19 ait pu faire monter la tension.

Il n’empêche que les situations « dénoncées » ne sont ni bénignes, ni expliquées, ni chiffrées, ni localisées, ni contextualisées, et que, dès lors, c’est tout un secteur qui se sent sur la sellette. Au ministère de la Famille, le service Handicap dit, de façon non officielle, qu’il va étudier les possibilités sur les questions soulevées par cette lettre ouverte, des possibilités que le gouvernement devra analyser, en concertation étroite avec tous les acteurs.

La rentrée dira peut-être si cela relève d’un coup d’épée dans l’eau, l’affaire n’ayant pas vraiment fait de vagues médiatico-politiques, ou s’il s’agit du premier domino qui déclenchera des répercussions apaisantes voire positives pour tout le monde.

Alain Ducat

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Publié le mercredi 15 juillet 2020
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