« Se tourner vers des solutions basées sur la nature »

« Se tourner vers des solutions basées sur la nature »

Il va falloir s’acclimater à un nouvel environnement. Plus vite qu’on ne le croit. Andrew Ferrone, président de l’Observatoire de la politique climatique du Luxembourg (OPC) nous explique comment. Faisons avec lui, un tour dans le futur.

D’ici 20 ou 30 ans, à quoi ressemblera le climat du Luxembourg ?

Il faut d’abord regarder en arrière avant de faire des projections. On analyse toujours des périodes de 30 ans selon l’Organisation météorologique mondiale pour éviter des conclusions basées sur la variabilité naturelle à court terme. Les 30 dernières années ont été au Luxembourg de +1,5°C au-dessus de la moyenne préindustrielle. Cette tendance va se poursuivre au moins pendant les 30 prochaines années. La tendance s’infléchira une fois la neutralité climatique atteinte au niveau global, c’est-à-dire quand les émissions de gaz à effet de serre seront compensées par des retraits de CO2 dans l’atmosphère.

D’après les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), 2050 pourrait être la première année de neutralité climatique. Alors, la température globale se stabiliserait à +1,5°C, mais au Luxembourg, elle va dépasser les 2°C car les terres se réchauffent plus rapidement.

Au niveau précipitations, sur l’ensemble d’une année, nous n’observons pas de changements significatifs. En revanche, on remarque des printemps plus secs tandis que sur les 60 dernières années, les hivers sont plus arrosés. Mais ce qui est surtout marquant, c’est la recrudescence au Luxembourg comme en Europe des événements de précipitations fortes, voire extrêmes, tels les flash floods. On s’attend à ce que le changement climatique intensifie ces épisodes, car plus l’air est chaud, plus il peut contenir d’humidité.

Comment s’adapter à ces changements climatiques locaux ?

L’adaptation au changement climatique est idéalement liée à son atténuation. C’est pour cela que l’OPC prône une logique de développement durable, donc, prendre des décisions qui servent d’une part à s’adapter au changement climatique et d’autre part à l’atténuer tout en travaillant d’autres objectifs de développement durable (ODD).

Dans cette optique, un des problèmes déjà présents au Luxembourg, c’est l’augmentation des jours avec de fortes chaleurs. Dans les derniers 60 ans, ils ont doublé au Grand-Duché. Il y a des prévisions de ces chaleurs, donc les alertes sont possibles. Ces dernières sont primordiales pour informer la population d’une canicule et lui permettre de s’y préparer avec les bons gestes, comme s’hydrater ou éviter les efforts physiques aux heures les plus chaudes.

Ensuite, si les bâtiments se réchauffent trop, le corps humain génère alors un stress. Certaines solutions existent, comme amener la verdure à proximité de la construction, sur son toit et même sur ses façades. Cela a pour effet de réduire la chaleur à l’intérieur de la bâtisse mais également de capter du CO2.

Ainsi, les planifications de la ville sont très importantes. Il faut s’écarter des espaces entièrement bétonnés et minéraux. Ils se réchauffent beaucoup plus rapidement que les espaces verts. Il faut donc installer des espaces verts mais aussi des espaces bleus, tout ce qui peut favoriser l’eau à l’intérieur de l’enceinte urbaine.

Le parfait exemple de « maladaptation au changement climatique », c’est l’air conditionné. S’il permet de diminuer la température intérieure, il est très énergivore. Même si cette énergie est produite à partir d’énergies renouvelables, elle manquera à d’autres énergies prioritaires.

Il faut vivre avec la nature, repenser notre rapport avec elle et s’appuyer sur ses forces pour définir les solutions. L’OPC espère que le gouvernement suivra cette voie et mettra en place de telles mesures.

L’agriculture est en première ligne face à tous ces bouleversements. De quelle manière devra-t-elle s’acclimater ?

Les sécheresses seront le problème agricole majeur. Au Luxembourg, on constate leur intensification. Les plantes transpirent plus et consomment alors davantage d’eau dans les sols. Ces derniers s’assèchent donc bien plus rapidement qu’il y a 60 ans.

L’agroforesterie est une piste intéressante à suivre. Comme pour la végétalisation urbaine, l’eau est retenue dans les sols, ce qui rejaillit sur le développement des plantes agricoles. De plus, l’agroforesterie absorbe le CO2, favorise une meilleure biodiversité dans les champs et de fait enrichit les sols. En cas de sécheresse, l’agroforesterie en polyculture accroît ses rendements par rapport à des monocultures.

Une autre piste, moins connue : le photovoltaïque agricole. Il est démontré que les panneaux permettent de diminuer les effets de la sécheresse et dans le même temps de produire de l’électricité renouvelable que les agriculteurs peuvent vendre à des prix avantageux.

On peut utiliser ces pistes pour sortir du mode de culture actuel et aller vers une culture plus respectueuse de la nature, de la biodiversité et vers plus de diversité en général.

Pour suivre cette voie, faut-il alors envisager de renouveler les productions agricoles ?

La production agricole doit toujours s’adapter aux changements climatiques. C’est aussi vrai pour le secteur agricole luxembourgeois, fortement basé sur la production laitière.

Il est clair qu’on ne peut continuer de la sorte dans le futur, en raison des émissions de gaz à effet de serre émises par les bovins, mais aussi d’autres facteurs environnementaux comme les nitrates qui polluent les eaux de surface et les eaux souterraines. Nous avons besoin d’un nouveau cap : un développement durable résilient au changement climatique avec des solutions environnementales.

L’Observatoire de la politique climatique considère donc d’utiliser la nature comme structure de la transition climatique ?

La politique comme les intérêts économiques ont des visions à court terme. Or, il faut insister et communiquer sur ce point : le changement climatique, c’est à long terme. Ce sont des périodes de 30 ans et plus sur lesquelles il faut planifier l’adaptation. Ce sont les réponses fondées sur la nature qui seront les plus efficaces sur cette projection au long cours.

Au début de l’entretien, j’ai parlé de 2050, mais rien ne garantit que les émissions soient vraiment au net zéro CO2 à ce stade. J’ai donc présenté un scénario très optimiste. Pour le moment, on est plutôt sur une trajectoire de plus 3°C en 2100. Dans ce scenario, le GIEC conclut que les limites de l’adaptation seront atteintes dans une grande partie des pays.

Dans cette vision plus globale, doit-on prendre en compte les transitions comportementales et sociétales ?

C’est quelque chose de primordial et un peu négligé pour l’instant. Nous ne sommes pas tous égaux face au dérèglement climatique. Il y quelques idées dans le Plan national énergie climat (PNEC) et une nouvelle version de la stratégie d’adaptation au changement climatique sera présentée par le gouvernement cette année. On espère et nous poussons pour de vrais changements de comportements dans cette stratégie.

Le GIEC a établi qu’il n’est pas possible d’atteindre la neutralité climatique sans changement de comportements. Les solutions techniques ne suffisent pas.

À l’échelle planétaire, quelles zones sont les plus exposées et que faut-il envisager pour réagir à la crise climatique ?

Le GIEC estime qu’entre 3,3 milliards et 3,6 milliards de personnes habitent des zones très vulnérables aux changements climatiques. Les changements impacteront principalement les pays en voie de développement, d’une part pour des raisons géographiques, d’autre part par manque de moyens financiers.

Le groupe d’experts considère qu’il existe déjà des réfugiés climatiques mais qu’il est pour l’instant impossible d’en faire une estimation sans statut officiel défini.

Il faut savoir que l’adaptation ne peut réussir sans une très forte mitigation. Si nous dépassons les + 1,5°C, certaines mesures fondées sur la nature seront inopérantes. Au-dessus de 2°C, les limites d’adaptation seront compromises. Si on n’est pas très ambitieux au niveau de l’atténuation, on parviendra aux limites de l’adaptation. Les deux sont indissociables et réciproques dans le défi climatique global.

Propos recueillis par Sébastien Michel
Photos : Fanny Krackenberger
Article tiré du dossier du mois « Embarquement immédiat »

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Publié le jeudi 11 avril 2024
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