Nouveau rapport ASTM sur le devoir de vigilance

Nouveau rapport ASTM sur le devoir de vigilance

Lors d’une conférence de presse, l’ASTM a présenté son nouveau rapport intitulé “Risques d’impacts des activités des entreprises sur les populations dans les pays du Sud : études de cas du Luxembourg”.

Alors que le Luxembourg est en train d’étudier la possibilité de légiférer sur la diligence raisonnable en matière de droits humains, l’ONG ASTM (Action Solidarité Tiers-Monde) publie un rapport qui démontre qu’il existe des risques non négligeables d’atteintes aux droits des communautés locales, des travailleur.euse.s et des défenseur.e.s dans les pays du Sud par des entreprises domiciliées au Luxembourg. À travers des études de cas d’entreprises établies au Grand-Duché, le rapport montre que tous les secteurs sont concernés et que l’adoption d’une législation nationale sur le devoir de vigilance devient nécessaire pour prévenir d’éventuelles violations des droits humains. Les risques sont particulièrement élevés au sein de certains secteurs, notamment le secteur financier, compte tenu de sa forte représentation dans l’économie luxembourgeoise et de la nature de ses activités dirigées essentiellement vers l’international.

Le rapport clarifie d’abord les principaux risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement susceptibles d’affecter les populations dans les pays du Sud. Il se focalise sur les effets subis par trois catégories de parties prenantes : les communautés locales, les travailleur.euse.s, et les défenseur.e.s des droits humains. Pour chaque catégorie de partie prenante, l’ASTM présente, de par son expertise, ses échanges avec ses partenaires et ses recherches, un certain nombre d’impacts négatifs qui peuvent se traduire par des violations de droits humains.

« Dans ce rapport, nous avons identifié des impacts possibles sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des populations des pays du Sud. Pouvoir les identifier clairement est essentiel et il est inquiétant de constater que les entreprises au Luxembourg peinent à le faire. », déclare Michaël Lucas, coordinateur général de l’ASTM.

Identification des risques d’impact : manques de connaissance et de compréhension

Selon les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits humains, l’analyse des risques d’impacts constitue une des premières phases de la procédure de diligence raisonnable, qui permettrait aux entreprises de s’acquitter de leur responsabilité de respecter les droits humains.

L’étude des pratiques de diligence raisonnable mises en œuvre par les entreprises en France, pays qui a légiféré en 2017 sur le « devoir de vigilance », montre que la plupart d’entre elles peinent encore à comprendre la notion même du « risque pour les parties prenantes ». La majorité d’entre elles se concentre sur les risques pour les entreprises et non pas pour les tiers ou l’environnement.

Au Luxembourg, une enquête TNS ILRES réalisée par la Chambre de Commerce en novembre 2019 révèle que seulement 16,6% des entreprises au Luxembourg font une analyse d’impacts de leur entreprise sur les droits humains.

L’étude « Mapping the business and human rights landscape in Luxembourg » publiée par le Ministère des Affaires étrangères et européennes du Luxembourg en août 2020 montre qu’il existe des manques de compréhension par rapport au cadre auquel les entreprises devraient se référer lors de la mise en œuvre de l’analyse des risques. Selon les Principes directeurs des Nations Unies, les entreprises ont la responsabilité de respecter les droits humains internationalement reconnus. Or, sur les 12 entreprises interviewées dans le cadre de l’étude de l’existant, seulement 5 se réfèrent à ces normes dans leurs engagements publics.

L’étude du MAEE conclut qu’il y a un manque général de connaissance et de compréhension de la responsabilité de respecter les droits humains par les entreprises au Luxembourg. « Neuf ans après l’adoption des Principes directeurs des Nations Unies, les entreprises au Luxembourg confondent la responsabilité de respecter les droits humains avec la Responsabilité sociale des entreprises (RSE). L’adoption d’une législation permettra de clarifier la responsabilité de respecter des droits humains et de guider les entreprises dans sa mise en œuvre. », souligne Antoniya Argirova, responsable du travail politique de l’ASTM.

Politique économique du Luxembourg et risques d’impacts en matière de droits humains

Depuis des années, le Luxembourg développe une politique d’attraction des entreprises multinationales qui basent leur siège au Luxembourg, tout en réalisant une grande partie de leurs activités à l’étranger. En outre, le degré d’ouverture de l’économie luxembourgeoise s’avère être l’un des plus élevés au monde : il atteint 206 pour le Luxembourg alors qu’il s’élève à 13 pour les États Unis et à 84 pour la Belgique.

Ces politiques ne sont pas sans conséquences pour le respect des droits humains par les entreprises. La stratégie d’attraction de sièges sociaux de multinationales au Luxembourg et l’intégration de l’économie luxembourgeoise dans des chaînes de valeur complexes et mondialisées augmentent les risques d’implication potentielle d’entreprises domiciliées au Luxembourg dans des violations des droits humains à travers les relations commerciales de leurs chaînes de valeur.

Services financiers, secteur à risque

Les services financiers constituent aujourd’hui le secteur économique le plus important au Luxembourg. De par leur représentation importante au sein de l’économie luxembourgeoise, la nature de leurs activités, dirigées surtout vers l’international, et le volume des transactions, ils constituent un secteur à risque et sont susceptibles d’avoir un impact important sur les droits humains des populations dans les pays du Sud.

Luxembourg est le 2e centre de fonds d’investissement au monde après les États Unis. D’après Luxembourg for Finance, « les fonds d’investissement domiciliés au Luxembourg sont répartis dans plus de 70 pays, avec un accent particulier sur l’Europe, l’Asie, l’Amérique latine et le Moyen-Orient ». Par exemple, le Luxembourg est aujourd’hui le 3e ou 2e plus grand investisseur au Brésil à travers des investissements qui passent par des sociétés basées au Luxembourg, d’après André Veloso Fontenele Bezerril, Consul honoraire du Brésil au Luxembourg.

Le secteur bancaire quant à lui représente environ la moitié du poids économique du secteur financier luxembourgeois (en termes de valeur ajoutée). Selon Luxembourg for Finance, de grands groupes bancaires internationaux d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Asie et d’Amérique latine ont établi une base au Luxembourg afin de répondre aux besoins de leurs clients internationaux. Sept grandes banques chinoises ont également choisi le Luxembourg comme leur plateforme en Europe continentale.

D’après les Principes directeurs, la responsabilité de respecter les droits humains concerne toutes les entreprises, ce qui inclut également le secteur financier et les investisseurs. Cette responsabilité s’applique également aux actionnaires, majoritaires ou minoritaires, ainsi qu’aux investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension.

The Human rights Benchmark publié par l’organisation BankTrack en novembre 2019, montre que dans l’ensemble quatre banques sur cinq ne respectent pas les droits humains. Alors que le Luxembourg héberge aujourd’hui 136 banques, les risques d’impact liés à ce secteur ne doivent pas être ignorés. « Récemment, nous avons appris que la mine controversée « Las Bambas » au Pérou aurait reçu un financement de la branche luxembourgeoise d’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC Luxembourg). Depuis plusieurs années, il existe un conflit entre les propriétaires de la mine et les communautés locales qui souffrent des impacts sociaux et environnementaux engendrés par les activités minières. L’ASTM soutient ces communautés à travers des projets de coopération au développement portés par ses partenaires sur place. », déclare Cédric Reichel, Coordinateur Klima-Bündnis Luxembourg – volet Sud.

Pour une législation sur le devoir de vigilance

Les Principes directeurs constituent actuellement la norme internationale principale en matière d’entreprises et droits humains. Malheureusement, leur nature volontaire ne permet pas une mise en œuvre généralisée et efficace. C’est pourquoi l’ASTM, en collaboration avec d’autres acteurs de la société civile, appelle le gouvernement luxembourgeois à traduire les Principes directeurs dans une législation contraignante sur le devoir de vigilance.

Par ailleurs, de plus en plus de voix réclamant l’adoption de normes contraignantes se joignent à celles de la société civile, y compris des acteurs du secteur financier. Le Investor Alliance for Human Rights, un groupe de 105 investisseurs internationaux avec 5000 milliards de dollars d’actifs sous gestion, appelle tous les gouvernements à adopter des législations rendant obligatoire la diligence raisonnable en matière de droits humains.

>> Découvrez ICI le rapport en ligne
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Publié le vendredi 30 octobre 2020
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