
« Les entrepreneurs doivent faire avec, et pas contre la nature »
Dr. Mirko Hirschmann, chercheur au Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust (SnT) est l’un des contributeurs d’une étude faisant le lien entre entrepreneuriat et perte de biodiversité. Face au manque de recherches sur le sujet et au besoin de sensibilisation des entrepreneurs, il appelle à l’action.
Pourquoi avoir décidé de mener une étude sur la perte de biodiversité et l’entrepreneuriat ?
Mirko Hirschmann : Nous avons constaté qu’il y avait très peu de recherches qui font le lien entre ces deux sujets du point de vue de l’entrepreneuriat et du management. Nous avons donc voulu lancer une discussion. Plus globalement, nous voudrions voir davantage de travaux dans le champ de l’entrepreneuriat durable.
Quelles données avez-vous utilisées ?
Nous avons utilisé des données secondaires recueillies par la Commission européenne dans deux enquêtes sur le thème de la perte de biodiversité, menées auprès de la population de l’Union européenne – incluant le Royaume-Uni à l’époque. Nous nous sommes focalisés sur les personnes qui ont répondu être entrepreneurs ou anciens entrepreneurs, et plus spécifiquement dans le secteur primaire. Le but était de voir la manière dont ces derniers perçoivent les effets négatifs de leurs activités sur la nature et la biodiversité.
Quelles conclusions avez-vous tirées de cette étude ?
La première est plutôt contre-intuitive, donc très intéressante ! Les entrepreneurs du secteur primaire perçoivent leurs propres activités comme moins menaçantes pour la biodiversité que celles des autres entrepreneurs. Pourtant, quand leur travail consiste à exploiter les ressources naturelles, ils voient bien que les sols se dégradent ou encore que leurs rendements diminuent à cause du changement climatique.
« La perte de biodiversité va fortement impacter le comportement des entrepreneurs. Elle doit donc être un axe fondamental de la recherche sur l’entrepreneuriat dans les années à venir. »
Dr. Mirko Hirschmann, chercheur au SnT
Nous avons plusieurs hypothèses pour expliquer ce résultat. Il y a la théorie de la dissonance cognitive, qui expliquerait que les entrepreneurs détournent le regard face au problème de la perte de biodiversité. Il y a aussi la théorie de la rigidité face aux menaces : submergés par trop d’impératifs – notamment d’être financièrement viables – ils n’ont pas les moyens et le temps de changer leurs habitudes. C’est particulièrement vrai pour les petits agriculteurs, pêcheurs ou exploitants forestiers.
Vous avez cependant observé une différence en fonction de la situation économique du pays où sont localisés les entrepreneurs.
Dans l’UE, plus un pays est dépendant du secteur primaire, plus les entrepreneurs qui exploitent des ressources naturelles perçoivent leur activité comme menaçante pour la biodiversité. Leur conscience environnementale semble être plus élevée dans ces pays.
Les entrepreneurs luxembourgeois sont-ils impactés par la perte de biodiversité ?
Par exemple, l’industrie viticole de la Moselle est confrontée au problème de la survie du papillon Apollon, qui affectionne particulièrement les milieux escarpés secs et rocailleux qu’on retrouve dans cette région. Malheureusement, le développement des vignobles peut donc entraîner la perte ou la fragmentation des habitats naturels de cette espèce aujourd’hui en voie d’extinction.
Une association environnementale internationale a voulu interdire l’utilisation de certains engrais, notamment ceux appliqués par voie aérienne dans les vignobles en pente, car ils déséquilibrent les écosystèmes. Mais interdire ces techniques rendrait le travail des viticulteurs beaucoup plus difficile, car appliquer des engrais à la main dans des zones escarpées est très compliqué.
Toujours dans l’industrie viticole que je connais bien, certains entrepreneurs se tournent vers l’agroforesterie en décidant de planter des arbres sur des zones de leur vignoble qui auraient pu servir à la culture de la vigne. Ce type d’initiative contribue à limiter la perte de biodiversité et augmente la résilience de l’environnement face au changement climatique.
Comment faire, selon vous, pour que les entrepreneurs aient une plus grande conscience de leur impact sur la biodiversité ?
Avec cette étude, nous voulons apporter une contribution concrète. C’est pourquoi elle commence par un appel à l’action.
Nous encourageons les entrepreneurs qui sont des références dans la durabilité à transmettre leurs connaissances. Ils doivent montrer à leurs pairs comment mettre en place des solutions permettant de réduire leur impact sur l’environnement, voire de régénérer les écosystèmes, tout en restant financièrement viables.
« 50 % du PIB mondial dépend des ressources naturelles. C’est donc un enjeu fondamental pour les générations futures. »
Dr. Mirko Hirschmann, chercheur au SnT
Les pouvoirs publics doivent aussi soutenir ces efforts. Pour les petits exploitants, c’est difficile de laisser de l’espace à la biodiversité sans aides financières. Il faut des subventions, par exemple pour passer au bio ou pour la préservation de certaines zones. Nous suggérons aussi de combler les lacunes de sensibilisation avec des événements et des formations. Il est essentiel que les futurs entrepreneurs bénéficient d’un enseignement sur la durabilité. Au SnT, nous abordons par exemple ces aspects dans notre master dédié à l’industrie spatiale. Quel que soit le secteur, il faut attirer l’attention sur la nature et le climat. Cela devrait même faire partie des programmes généraux.
Néanmoins, les entrepreneurs sont de plus en plus sensibles aux enjeux liés à l’environnement. Dans le secteur primaire, ils sont confrontés à des événements climatiques qui sont chaque année plus extrêmes, comme les gelées tardives, la grêle ou les sécheresses prolongées, qui détruisent les cultures. Il y a aussi de plus en plus de règlementations, locales et européennes, sur le sujet.
Propos recueillis par Léna Fernandes
Extrait du dossier du mois « Entrepreneurs engagés »