« Le jardin collectif est la nouvelle place publique »

« Le jardin collectif est la nouvelle place publique »

Florian Hertweck est architecte et professeur à l’Université du Luxembourg, où il est à la tête du Master en Architecture. Nous l’avons interrogé sur les visions architecturales et urbanistiques pour la transition écologique.

Quelle est aujourd’hui l’importance de l’écologie dans les visions architecturales et urbanistiques ?

Votre question suppose qu’il y a des visions, mais je n’en vois pas beaucoup. Il y a de nombreuses analyses et beaucoup de pistes, mais des visions ? La production de l’espace est aujourd’hui dominée par l’économie de l’immobilier qui ne permet guère de développer de véritables expérimentations architecturales et urbanistiques qui prennent des risques au-delà de la logique de l’offre et de la demande ou des dépenses et des profits des Excel sheet. Dans le cadre de cette dominance, le discours sur l’écologie a été absorbé par l’idéologie du Green Tech. Cette croyance dans la technologie, qui se manifeste autant dans les Smart cities que dans le Climate engineering, écarte toute tentative sérieuse d’aborder le défi écologique en profondeur. La crise actuelle met encore plus en évidence que ce défi est lié à question de la croissance, mais elle montre aussi la forte tendance à noyer cette question dans l’innovation technologique. Que nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation d’urgence face au changement climatique, à la pénurie des ressources et à la perte de la biodiversité, est d’autant plus énervant que toutes ces questions et beaucoup de réponses étaient déjà sur la table dans les années 70, une décennie riche en expérimentations architecturales et urbanistiques qui visaient la transition écologique, une économie post-croissance, aussi bien qu’une qualité de vie post-matérialiste. Mais le tournant néo-libéral et le triomphe du capitalisme culturalisé a magistralement su écarter ou absorber ces expérimentations. Nous savions dans les années 70 que nos voitures devraient être plus légères alors que jamais dans l’histoire autant de SUV n’ont été vendus qu’aujourd’hui. Nous savions que les maisons devraient être couvertes de légères membranes recyclables alors qu’elles sont aujourd’hui munies de plusieurs centaines de matériaux polluants pour la plupart. Nous savions que les distances entre le travail et le logement devraient se raccourcir alors qu’elles deviennent de plus en plus grandes. Je pourrais continuer indéfiniment à citer des exemples qui témoignent de ce paradoxe.

Quels sont alors les enjeux immédiats de l’approche architecturale face aux enjeux climatiques ?

Il y a un paradoxe entre l’urgence d’une part et la lenteur de notre discipline d’autre part. Construire un bâtiment prend plusieurs années, construire un quartier plusieurs décennies. Nous devons être capables de nous projeter dans l’avenir pour savoir comment agir aujourd’hui en sachant que nos projections portent surtout sur l’existant. Les architectes doivent redécouvrir leur domaine de compétence : la prospective, mais qui n’est plus une prospective de la table rase. Et ne pas laisser la conception de la ville post-carbone aux ingénieurs et encore moins aux stratèges de marketing. L’autre défi réside dans le changement d’échelle. La transition écologique doit forcément se penser à plusieurs échelles : du corps à son enveloppe, du logement au quartier, de la ville au territoire jusqu’à la planète entière. Mais au fur et à mesure que nous augmentons l’échelle, l’architecte a de moins en moins d’influence et à faire avec des dispositifs politiques. Le devoir des architectes est alors, au-delà des expérimentations architecturales et urbanistiques, de développer des narrations post-carbone et post-croissance qui montrent aux citoyens que la transition écologique avec toutes ses implications sur le standard et le confort représente un énorme gain en terme de qualité de vie et – ce que la crise actuelle nous rappelle – aussi en terme de santé collective.

Pour répondre plus directement à votre question, les enjeux consistent aujourd’hui à transformer les grandes structures économiques, urbaines et architecturales, en petites structures, donc transformer nos territoires en des mosaïques très fines qui mélangent habitat, travail, loisirs, permaculture …, construire des structures qui permettent d’accueillir différents usages dans le temps, des structures qui, à une échelle régionale, soient autosuffisantes en termes d’énergie, de ressources et de production alimentaire. Bref, il s’agit de donner forme au local turn sans pour autant tomber dans une attitude réactionnaire … Il est clair que toute approche doit correspondre à un contexte spécifique, il n’y a plus de charte valable pour tous les contextes comme le présupposait la Charte d’Athènes.

Et au Luxembourg, quels sont les défis alors ?

Le Luxembourg est un pays qui a une des plus grandes empreintes écologiques au monde. Pourquoi ? Si on enlève “le tourisme à la pompe”, c’est parce qu’il y a une trop grande mobilité entre les lieux de résidence et les lieux de travail. Mais, miser sur un réseau de transport en commun, le rendre gratuit, ne perce pas le fond de la problématique qui réside dans une croissance économique et démographique importante dans un pays où le foncier est excessivement rare, cher et financialisé.

D’une part, nous devons alors changer substantiellement notre manière d’aborder le foncier pour créer plus de diversité sociale et fonctionnelle ou ce qu’on appelle une équité territoriale.

D’autre part – et c’est aussi un phénomène renforcé par la crise actuelle – nous devons permettre aux gens de travailler (et de consommer) près de là où ils habitent. Je dis bien près de là où ils habitent, car le home office n’est pour moi pas la solution ultime. Je verrais plutôt la nécessité d’intégrer dans chaque complexe de logement des espaces de travail mutualisés et, simultanément, de construire des logements abordables en proximité du tertiaire, comme sur le Plateau Kirchberg.

La crise actuelle nous montre aussi que le banal discours sur la densité n’a pas de sens. Le Luxembourg est un pays rural dont la typologie dominante est la maison mitoyenne. Je pense que nous devons réinterpréter cette typologie munie d’un petit jardin qui peut légèrement monter en hauteur quand on se rapproche des centres d’agglomération pour accueillir, notamment au rez-de-chaussée, des activités complémentaires. Cette typologie permet aussi de retisser les liens entre l’habitat et l’agriculture. Le Luxembourg est rural mais importe 90 % des produits agricoles. Or, de plus en plus de citoyens sont à la recherche d’aliments sains et locaux, jusqu’à vouloir en cultiver. Je suis convaincu que le jardin individuel est le nouveau salon et le jardin collectif la nouvelle place publique. Mais tout ceci doit s’inscrire – et nous revenons au début – dans une vision globale pour ce territoire.

Florian Hertweck, avec Alain Ducat
Université du Luxembourg, partenaire Infogreen
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photos
Florian Hertweck : Uni.lu
Plateau Kirchberg Campus : Licence CC/Uni.lu
Projet Kirchberg-Kiem : SNHBM/Temperaturas Extremas Architectos

Article tiré du dossier du mois « Aux actes citoyens ! »

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Publié le vendredi 21 août 2020
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