
Développer une conscience pour la durabilité dans nos comportements
Chief sustainability officer de Banque Raiffeisen, Georges Heinrich incarne un modèle de banquier engagé. À travers une approche lucide, humaine et cohérente, il milite pour une finance qui accompagne la transition écologique, sans renier les réalités économiques. Interview.
Pourriez-vous décrire votre parcours ?
J’occupe le poste de chief sustainability officer chez Banque Raiffeisen depuis un peu plus de deux ans.
Avant d’entrer dans le secteur bancaire, j’ai passé près de 15 ans au ministère des Finances. Ensuite, je suis resté près de 10 ans à la Banque de Luxembourg où je m’occupais aussi des questions liées à la durabilité.
Vous vous considérez comme une personne engagée ?
C’est difficile de répondre de manière tranchée. Je crois que personne ne peut prétendre être irréprochable sur le plan de la durabilité. Nous avons tous des contradictions. Il m’arrive de faire des choix qui ne sont pas exemplaires, tout en étant conscient de leur impact. Mais il est important de développer cette conscience pour la durabilité au niveau de nos comportements individuels et de chercher à faire mieux quand c’est possible.
Dans ma vie privée, je suis attentif aux enjeux environnementaux et sociaux. Je fais des efforts sur certains plans, je reste curieux et je m’interroge souvent sur mon impact. Le plus important à mes yeux est que j’essaie de transmettre cette sensibilité aux autres. L’engagement commence réellement dans notre capacité à diffuser une prise de conscience et à montrer que chacun peut faire un bout de chemin.
Au niveau professionnel, je suis profondément convaincu que les thématiques ESG – environnement, social, gouvernance – ne sont pas des contraintes, mais des éléments essentiels à la pérennité des entreprises. Une bonne gouvernance, par exemple, est souvent invisible tant que tout va bien. Mais dès que l’entreprise traverse une crise, elle devient cruciale. L’environnement, longtemps vu comme une variable externe, devient de plus en plus un facteur de risque et de coût incontournable.

Comment mettez-vous cela en œuvre chez Banque Raiffeisen ?
La durabilité fait partie de notre ADN, surtout l’aspect social. Notre philosophie repose sur des valeurs de solidarité, de responsabilité et de proximité. Mais aujourd’hui, nous allons plus loin. Nous essayons d’intégrer de manière cohérente les trois volets de l’ESG à notre modèle économique. Cela passe par une transformation interne, mais aussi par notre capacité à accompagner nos clients dans leur propre transition.
Le « E », par exemple – l’environnement – est longtemps resté en marge des activités bancaires traditionnelles. Maintenant, il faut l’intégrer pleinement. Pas seulement à travers des produits spécifiques (comme un crédit pour une voiture électrique), mais à travers une réflexion globale. Par exemple, comment aider un entrepreneur à transformer son modèle vers un fonctionnement moins carboné ? Il s’agit de comprendre les besoins, de proposer les bons outils, mais aussi de jouer un rôle pédagogique.
Est-ce que la réglementation aide ou freine cette transition ?
Elle fait les deux à la fois. Elle pose un cadre, ce qui est essentiel, mais elle peut aussi devenir un frein si elle n’est pas bien calibrée. Ce que nous voulons, c’est reconnecter la réglementation avec le terrain. Transformer ces obligations en leviers pour la sensibilisation, l’innovation et l’accompagnement. Si on arrive à faire cela, alors oui, la réglementation peut être une aide.
Quelle est votre approche concrète pour sensibiliser vos clients ?
Nous devons informer nos clients sur les défis et obligations à venir, tout en leur proposant des solutions concrètes pour accompagner leur transition vers un modèle économique durable. Pour cela, nous développons des produits alignés avec les critères de durabilité et nous les aidons à accéder à des informations utiles, notamment sur les aides publiques disponibles. L’objectif : être prêts à les accompagner dès qu’un projet à impact ESG se dessine.
Et en interne, comment vos collaborateurs perçoivent-ils cette transformation ?
L’engagement est réel, mais il varie selon les équipes. Plus l’action est concrète, plus elle mobilise. Notre action de plantation d’arbres est un bon exemple : elle est certes symbolique, mais très tangible, et elle crée un vrai engagement et sentiment d’appartenance.
En revanche, le volet réglementaire est plus complexe. Les exigences, souvent abstraites et chronophages, peuvent sembler déconnectées. Nous cherchons alors à redonner du sens en expliquant le contexte et l’impact.
Quels sont les freins que vous identifiez aujourd’hui ?
Je dirais qu’il y en a trois principaux :
- Le frein culturel : tout le monde n’a pas encore pleinement intégré les enjeux de durabilité. C’est souvent par méconnaissance, par manque d’exemples concrets ou tout simplement parce que le quotidien prend le dessus.
- La complexité réglementaire : elle peut décourager, surtout quand on a l’impression de cocher des cases sans voir d’effet réel.
- La méfiance de certains clients : ils craignent que la transition écologique devienne une contrainte économique. C’est pour cela que notre rôle d’accompagnement est si important. Il faut rassurer et proposer des solutions réalistes.
Et demain ? Comment voyez-vous l’avenir de votre mission ?
L’avenir, c’est une transformation profonde. Et elle doit être menée sans opposer l’économie à l’écologie, ou encore la performance financière à la responsabilité sociale. Je suis convaincu que les entreprises qui intègrent l’ESG de manière cohérente seront plus résiliantes. Et les banques ont un rôle crucial à jouer dans cette mutation en tant que partenaires stratégiques.
Propos recueillis par Sébastien Yernaux
Photos : Fanny Krackenberger / Picto
Extrait du dossier du mois « Entrepreneurs engagés »