
Chez Chiche ! et Madame Witzeg, l’inclusion donne du sens à l’entrepreneuriat
Chiche ! et Madame Witzeg sont plus que des restaurants. Marianne Donven et Carole Mousel, les femmes à l’initiative de ces projets engagés pour l’inclusion, sont plus que des entrepreneuses. Infogreen les a réunies pour une rencontre inédite.
Marianne Donven et Carole Mousel sont toutes les deux à la tête de restaurants pas comme les autres. La première a co-fondé Chiche !, une enseigne avec six établissements et 77 employés réfugiés ou migrants. La deuxième est chargée de direction pour l’asbl Trisomie 21 Lëtzebuerg et responsable de Madame Witzeg, qui emploie des personnes avec des besoins spécifiques, notamment porteuses de trisomie 21.
En les réunissant pour une discussion sur leur expérience, on constate vite que l’inclusion et l’intégration sont au cœur de leur métier, mais aussi de leurs valeurs et de leur engagement.
Objectif : créer des emplois
Dès la création, en 2016 pour Chiche ! et en 2020 pour Madame Witzeg, l’intention est la même. « L’ambition n’est pas du tout de gagner de l’argent, mais de créer des emplois pour les réfugiés au Luxembourg », déclare Marianne Donven. Chez Trisomie 21 Lëtzebuerg, l’association derrière l’établissement de Belvaux, « notre but n’est pas non plus de faire de l’argent, mais de donner un travail à des personnes à besoins spécifiques pour mettre en valeur leur potentiel », explique la chargée de direction.

Avant l’aventure Chiche !, Marianne Donven a notamment coordonné l’action humanitaire au ministère des Affaires étrangères. Cette expérience lui a permis de « sillonner le monde, d’aller partout où il y a eu des famines, des tremblements de terre, des inondations ou des conflits ». C’est la naissance de son combat pour la cause des réfugiés. Plus tard, elle participe à la création du projet Hariko pour la Croix-Rouge luxembourgeoise. « Mais je voulais faire plus », raconte-t-elle, « j’ai eu l’idée de faire un restaurant pop-up dans un bâtiment qui devait être démoli et qui appartenait à un ami. Chacun a investi quelques milliers d’euros et j’ai fait appel à de bons cuisiniers que j’avais rencontrés parmi les réfugiés. » Le succès est tout de suite au rendez-vous, le projet grandit et se pérennise, le tout « sans business plan ou grands objectifs ».
« Un restaurant est un projet concret qui permet aux employés d’être réellement intégrés dans la société. »
Carole Mousel, responsable de Madame Witzeg
Lancer Madame Witzeg était par contre un projet sans précédent pour Trisomie 21 Lëtzebuerg. « Nous étions à l’époque une petite asbl de trois salariés, nous n’avions pas d’expérience en tant qu’entreprise », se souvient Carole Mousel. « Pour développer notre concept, nous avons sollicité quelques-uns de nos contacts dans la gastronomie et nous avons été visiter Le Reflet à Nantes (restaurant inclusif où la majorité des salariés sont porteurs d’une trisomie 21) pour observer leur fonctionnement et voir si c’était quelque chose de réalisable au Luxembourg ».
Un fonctionnement adapté
Dans ces restaurants, la différence avec les établissements « classiques » ne se fait pas ressentir dans l’assiette, mais plutôt dans la manière de fonctionner. La co-fondatrice de Chiche ! explique : « Quand je crée un poste, je regarde qui a le plus besoin d’un contrat de travail, qui je vais pouvoir le plus aider. »
En cuisine, c’est un grand melting-pot de cultures et de situations familiales avec lequel il faut parfois composer. « Je suis très stricte sur l’égalité femmes-hommes et l’égalité entre les religions. Par contre, il faut accepter d’être flexible parce que les employés peuvent avoir des rendez-vous fréquents avec l’immigration. Il y a aussi des femmes seules avec beaucoup d’enfants. » Concernant la diversité des langues parlées, « il y a toujours quelqu’un pour traduire. »
À Belvaux, la carte est réduite à 12 plats, desserts inclus, afin que « chacun puisse les réaliser en autonomie. Les recettes ne doivent donc pas être trop nombreuses ou trop compliquées », détaille la responsable, éducatrice de formation. En collaboration avec le ministère du Travail, le restaurant emploie des éducateurs, en cuisine et en salle, qui encadrent les personnes à besoins spécifiques. Mais « ils sont là uniquement pour surveiller et donner des directions, ce ne sont pas eux qui réalisent les tâches. »
« Nous proposons toute l’année les mêmes plats pour pouvoir intégrer n’importe qui, n’importe quand, dans nos équipes. Il n’y a pas besoin de formation en cuisine, tout le monde est capable de couper des oignons et des tomates. »
Marianne Donven, co-fondatrice de Chiche !
En plus de la question des langues, « nous employons souvent des personnes avec des soucis de communication », ajoute la responsable. « Au début, nous avions un cuisinier qui parlait allemand et anglais et une personne porteuse de trisomie 21 qui parlait italien et français. Je ne sais pas comment, mais ça a fonctionné ! C’est aussi tout l’intérêt de notre établissement, tout est possible avec de la volonté. »
Une plus grande d’estime de soi et moins de préjugés
Être employé chez Chiche ! ou Madame Witzeg représente bien plus qu’un accès au monde du travail pour les réfugiés, les migrants ou les personnes à besoins spécifiques qui en intègrent les rangs. Les deux femmes font un même constat.
Comme l’observe Carole Mousel, « cela leur apporte de la fierté et une vraie estime de soi », que ce soit en acquérant de nouvelles compétences et en les transmettant à d’autres ou encore en se voyant confier des responsabilités. « Nous engageons des gens qui peuvent être gravement traumatisés, le rythme quotidien imposé par le travail les aide énormément à surmonter ce qu’ils ont vécu », ajoute Marianne Donven. « Ça leur donne une perspective d’avenir, la possibilité de prendre soin de leurs enfants ou encore de sortir d’un foyer et d’accéder à un domicile. Pour certains c’est ce qui leur a permis d’avoir des papiers pour la première fois de leur vie. »
Et l’impact de ces projets engagés n’est pas à sens unique. Elle poursuit : « Je dis à mes employés qu’ils sont les ambassadeurs de tous les réfugiés du Luxembourg. En ayant un bon contact avec nos clients, ils peuvent avoir une influence positive sur l’opinion de ces derniers et lutter contre les préjugés. » La chargée de direction chez Trisomie 21 Lëtzebuerg admet que « la première visite chez nous est souvent motivée par de la curiosité, mais les clients reviennent parce que le repas leur a plu. Le but est aussi de sensibiliser, de briser cette barrière entre les gens. Tout le monde doit être visible et personne ne doit être à part. »
Responsabilités et accomplissements
Pour porter de tels engagements, impossible de faire les choses à moitié. Les deux femmes se retrouvent sur le fait qu’elles ont parfois un rôle « d’assistante sociale » pour leurs employés, qu’elles aident dans leurs démarches administratives. « C’est beaucoup plus qu’un job pour moi, c’est le combat de ma vie », affirme Marianne Donven. Sa consœur acquiesce : « Il faut vraiment mettre tout son cœur dans ce type de projet ! » L’implication est grande, mais les accomplissements le sont aussi. Le duo avoue modestement trouver une certaine fierté dans l’évolution et le développement de leurs employés.
« J’ai beaucoup appris et grandi en étant impliquée dans ce projet de restaurant. »
Carole Mousel, responsable de Madame Witzeg
Madame Witzeg est encore une structure « assez jeune », qui se développe avec le temps et vise pour l’instant la stabilisation. Chez Chiche !, l’objectif est d’atteindre la création de 100 emplois au total. « Je suis en négociation pour ouvrir deux nouvelles adresses, mais ce seront les derniers pour moi », annonce la co-fondatrice de l’enseigne libanaise. « C’est une grande responsabilité de garder le navire à flot et il faut penser à l’avenir. J’ai déjà entamé des démarches dans certains restaurants en créant de nouvelles sociétés dans lesquelles certains de nos plus anciens employés sont associés. À terme, le but est de leur passer le relais. »
Les deux femmes sont convaincues que « la société est prête pour des projets comme les nôtres » et elles invitent les entreprises luxembourgeoises à embaucher des réfugiés ou des personnes à besoins spécifiques. « Nous avons beaucoup à apprendre d’eux », assure l’une. « La diversité est une richesse, tout le monde a des compétences à offrir », conclut l’autre.
Léna Fernandes
Photos : © Fanny Krackenberger
Extrait du dossier du mois « Entrepreneurs engagés »