Cacao en danger : les défis à relever au niveau de la chaîne d’approvisionnement
Derrière chaque tablette de chocolat se cache une réalité complexe. La crise du cacao met en lumière les inégalités, l’exploitation des enfants et la dégradation de l’environnement. Il est urgent de trouver des solutions pour garantir un avenir durable à cette filière.
Depuis le début d’année, le prix du cacao sur le marché mondial n’a cessé d’augmenter pour atteindre un niveau record de 12.261 dollars la tonne en avril 2024. Il s’agit d’une véritable explosion des cours du cacao sur les bourses internationales, qui s’échange actuellement à plus de 10.458 dollars la tonne à la Bourse de New York, contre 4.395 dollars l’an passé.
Les causes de cette hausse historique des prix sont imputables à une demande de plus en plus importante couplée à une chute de la production liée aux effets néfastes du dérèglement climatique, et plus particulièrement au phénomène météorologique El Niño, entraînant des périodes de sécheresse prolongées en Afrique de l’Ouest. S’y ajoute l’apparition de maladies émergentes coriaces telles que le virus du swollen shoot, qui provoque des pertes de récolte entre 40 et 50 % en Côte d’Ivoire et au Ghana, responsables à eux seuls de plus de 60 % de la production mondiale de cacao.
Au vu de ces importantes pertes, une forte augmentation des prix pourrait être une aubaine pour les petits producteurs de cacao, mais de nombreux facteurs les empêchent de pouvoir bénéficier de la hausse des cours internationaux actuelle.
Un système hautement spéculatif qui maintient les producteurs dans la précarité et perpétue l’exploitation des enfants
Les nouvelles relatives à la baisse de la production de cacao ont engendré une ruée des fonds spéculatifs sur la matière première, qui accélère et accentue encore plus la hausse du cours du cacao. En effet, les marchés boursiers sont très volatiles et rendent impossible une stabilité de revenu pour les producteurs. Ce cycle perpétuel de hausses et de baisses des prix, combiné à l’augmentation des coûts de production et de la main-d’œuvre, les empêche de vivre décemment de leur travail et les maintient dans la pauvreté.
Cette montée en flèche des prix du cacao aurait dû leur permettre de bénéficier de revenus qui leur permettent de vivre dignement de leur travail, or ceux-ci doivent très souvent respecter des contrats à long terme qui ne prennent pas en compte les hausses de prix actuelles. En effet, les systèmes de régulation du marché fixent les prix pour toute une période de récolte, mesure mise en place pour protéger les producteurs en cas de baisse des prix, mais les temps de révision souvent très longs ne permettent pas de suivre le mouvement des cours de la bourse. Par ailleurs, au Ghana, c’est une institution ghanéenne contrôlée par l’État, le « Ghana Cocoa Board » (COCOBOD), qui fixe le prix d’achat du cacao. Une décision qui a des répercussions directes sur l’ensemble des acteurs de la filière, et plus particulièrement sur les revenus des familles de cacaoculteurs sur place. D’un côté, ce système protège les producteurs en cas d’effondrement des prix et contre les acheteurs « prédateurs », mais ce modèle empêche également les producteurs de bénéficier de prix du marché plus élevés si les prix augmentent.
Cette pauvreté renforce l’exploitation des enfants dans les champs de cacao. Selon l’International Cocoa Initiative (ICI), plus de 1,5 million d’enfants travaillent encore dans les plantations de cacao, un chiffre en augmentation depuis la pandémie de Covid-19, malgré les engagements des multinationales du cacao à réduire ce fléau de manière significative au milieu des années 2000.
Un autre fléau : l’extraction illégale de l’or
Fairtrade Lëtzebuerg s’est rendu au Ghana en automne. Sur place, Jean-Louis Zeien, le président, témoigne d’une autre menace pour la filière du cacao.
« Galamsey est le nom donné à l’exploitation illégale des mines d’or qui dévaste les forêts et les plantations de cacao. Là où le cacao poussait auparavant, cet orpaillage illégal ne laissera pas seulement le sol et l’eau contaminés par le mercure, mais aussi un véritable désert et un paysage de cratères où ni le cacao ni quoi que ce soit d’autre ne pourra pousser à l’avenir. »
Jean-Louis Zeien, président de l’ONG
Ce phénomène a été amplifié avec l’arrivée de migrants chinois en situation irrégulière entre 2008 et 2013 arrivés au Ghana pour y exploiter des mines d’or. Ils ont introduit de nouvelles machines et technologies qui ont permis d’augmenter drastiquement la production d’or, même si cela s’est fait au prix d’une sérieuse dégradation de l’environnement.
La première enquête Galamsey à grande échelle du Ghana Cocoa Board (COCOBOD) a révélé que rien qu’entre 2019 et 2020, environ 19 000 hectares de plantations de cacao ont été repris ou endommagés par l’orpaillage illégal.
Quelles solutions concrètes le mouvement Fairtrade déploie-t-il pour soutenir les producteurs de cacao en ces temps de crises ?
Le mouvement Fairtrade soutient les producteurs de cacao d’Afrique de l’Ouest grâce à des solutions concrètes, qui visent à atteindre des conditions de vie décentes et à promouvoir une production durable. Cela se traduit d’une part par le prix minimum garanti, qui agit comme un filet de sécurité pour les producteurs, indépendamment des crises économiques et des fluctuations des marchés mondiaux. Quant à la prime Fairtrade, celle-ci est une somme supplémentaire versée aux producteurs, qui leur permet d’investir dans des projets communautaires économiques, sociaux et écologiques de leur choix, tels que des écoles, des centres médicaux, des installations permettant l’accès à de l’eau potable, ou encore l’achat de nouveaux équipements au sein des coopératives.
Le mouvement a également formalisé des Standards Fairtrade stricts, qui visent à améliorer la durabilité sociale et environnementale de la production de cacao. Par exemple, les producteurs doivent s’assurer qu’aucun enfant de moins de 15 ans ne travaille sur leurs exploitations. Lors de sa visite sur le terrain de la coopérative Fairtrade « Kuapa Kokoo », JeanLouis Zeien a pu échanger avec les responsables et a pris connaissance du travail considérable de la coopérative pour identifier les risques et prendre des mesures préventives pour protéger les enfants.
« La coopérative a mené en 2023 des entretiens individuels avec 7.000 enfants vivant dans les communautés où Kuapa Kokoo opère. Ces entretiens ont permis d’identifier 1136 enfants particulièrement vulnérables dans les zones à risque. Afin de s’assurer que ces enfants puissent suivre leur scolarité obligatoire et ne dérivent pas vers le travail des enfants, la coopérative a financé les frais de scolarité, les fournitures scolaires, les uniformes et le matériel. Et grâce à la prime Fairtrade, des écoles primaires ont été construites à proximité immédiate de la communauté locale. »
Jean-Louis Zeien, président de l’ONG
Le mouvement Fairtrade a également mis en place des standards stricts, incluant des exigences en matière de protection des forêts, qui satisfont ou vont au-delà de ce qu’exigent les réglementations de l’Union européenne. Les Standards du Commerce Équitable Fairtrade pour le Cacao stipulent la mise en œuvre d’une cartographie de la géolocalisation, d’une surveillance de la déforestation, d’une évaluation des risques, de plans d’atténuation et d’un soutien aux producteurs pour atténuer les risques de déforestation. Les audits réalisés par l’organisme de certification indépendant FLOCERT constituent un niveau de vérification supplémentaire.
Le partenariat entre le mouvement Fairtrade et la société de géolocalisation néerlandaise Satelligence B.V. conclut en novembre 2023 - dont les coûts sont entièrement couverts par Fairtrade – vise à mettre en relation les coopératives Fairtrade avec des données sur les exploitations agricoles de leurs membres et sur les risques de déforestation, afin que les coopératives puissent partager ces données avec leurs partenaires commerciaux et mieux gérer les paysages forestiers. Cette initiative permet aux producteurs d’être propriétaires de leurs données et leur donne la capacité de les partager avec leurs partenaires commerciaux, de sorte que les données puissent être analysées et validées avant d’être soumises au portail en ligne de l’UE et utilisées comme partie de la base de documentation pour la diligence raisonnable tout au long de la chaîne d’approvisionnement, jusqu’à ce qu’elles atteignent l’Europe.
À ce jour, 176 organisations de producteurs de cacao ont bénéficié de ce partenariat pour partager leurs données dans le cadre du processus d’obtention de leurs rapports d’évaluation des risques en prévision du règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts.
Enfin, Fairtrade soutient les producteurs grâce à des programmes de prévention et d’adaptation aux effets du dérèglement climatique. Ces programmes incluent des formations sur la gestion durable des sols, l’utilisation de variétés de cacao résistantes aux maladies et aux conditions climatiques extrêmes, le recours à d’autres cultures vivrières pour diversifier leurs revenus, et l’emploi de techniques agricoles permettant de conserver l’humidité du sol et de limiter son érosion.
Quels efforts collectifs de la part des entreprises, des consommateurs et des gouvernements sont nécessaires pour préserver la filière du cacao et garantir une chaîne d’approvisionnement équitable et durable ?
Face à l’aggravement de la situation dans la filière du cacao, l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg appelle spécifiquement :
- le gouvernement luxembourgeois à respecter l’accord de coalition en matière de politique de coopération et son engagement international en matière de revenus décents. Le Luxembourg fait en effet partie, avec l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique, des 4 pays de l’UE qui ont signé en 2023 une déclaration commune en matière de revenus décents, la « Joint Declaration on Living Wage and Living Income ». Jusqu’à présent, l’ONG luxembourgeoise constate, qu’aucune mesure perceptible n’a été prise par le gouvernement actuel pour mettre en œuvre cette déclaration. De plus, le gouvernement doit accélérer la cadence et aller plus loin en termes d’actions concrètes en matière de revenus décents, notamment dans la transposition de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD) dans la législation nationale.
- le gouvernement à ne pas affaiblir le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (EUDR) mais au contraire à le renforcer, notamment en incluant les matières premières telles que l’or, qui continuent à alimenter la destruction illégale des forêts.
- Les chaînes de distribution à continuer de soutenir et de promouvoir les producteurs de cacao et les acteurs d’ici travaillant avec du cacao Fairtrade pour garantir une chaîne d’approvisionnement du cacao durable.
- Les consommateurs à rester solidaires avec les producteurs de cacao en choisissant pour les fêtes de fin d’année des produits chocolatés certifiés Fairtrade.
La flambée des prix du cacao montre aussi que le cacao a été trop considéré comme un bien commun dans le passé, alors que celui-ci est une matière première, que nous devons apprendre à apprécier à sa juste valeur, en versant des prix justes et en instaurant des chaînes d’approvisionnement durables et transparentes. Faute de cela, les produits chocolatés risquent de devenir des biens de luxe que nous ne pourrons plus apprécier de la même manière qu’aujourd’hui.
Communiqué par Fairtrade Lëtzebuerg