Alimentation locale : deux regards sur la politique agricole luxembourgeoise

Alimentation locale : deux regards sur la politique agricole luxembourgeoise

André Loos, Premier conseiller au ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Viticulture et Sam Mille, représentant du Service Jeunesse affilié à la Centrale paysanne, livrent leur vision croisée sur l’alimentation locale, les circuits courts, l’engagement des jeunes, et le dialogue entre politique et terrain.

André Loos
André Loos - © Fanny Krackenberger

Depuis l’arrivée du nouveau gouvernement, l’alimentation est pleinement intégrée dans le périmètre du ministère de l’Agriculture, une nouveauté saluée par André Loos. Cette compétence, auparavant partagée entre plusieurs entités, a désormais un interlocuteur unique.


« C’est une volonté politique du nouveau gouvernement. Aujourd’hui, on est compétent pour toute la chaîne alimentaire, de la production primaire jusqu’à l’assiette. »

André Loos, Premier conseiller de gouvernement pour le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Viticulture

Cette centralisation des responsabilités a aussi permis une meilleure cohérence dans l’action publique. « Nous avons intégré les services vétérinaires et les volets de sécurité alimentaire au sein de l’ALVA, l’Administration luxembourgeoise vétérinaire et alimentaire. Cela nous permet d’avoir une vision globale et unifiée », explique-t-il.

Sam Mille, représentant du Service Jeunesse affilié à la Centrale paysanne, salue lui aussi ce recentrage : « Le gouvernement actuel souhaite que nous travaillions les bonnes terres pour produire de la nourriture. Il y a un vrai changement par rapport à l’approche plus orientée vers la protection de la nature de l’ancien gouvernement. »

La stratégie alimentaire est en cours d’élaboration. Après une consultation parlementaire sur des thématiques clés – alimentation saine, offre de produits régionaux, saisonnalité, gaspillage, sécurité et équilibre des revenus –, le Ministère a sollicité plus de 60 parties prenantes. Un plan d’action national est attendu d’ici la fin de l’année.

Circuits courts, production locale : des efforts concrets

La question de l’ancrage local est centrale dans les actions du Ministère. Campagnes de sensibilisation « Sou frësch, sou Lëtzebuerg », sites web dédiés comme www.regionalsaisonal.lu et www.letzfarm.lu, un magazine tous-ménages « GUDD ! » , présence sur des événements tels que la Foire Agricole d’Ettelbruck ou encore soutien à des initiatives comme l’École du goût : les outils se multiplient pour valoriser les produits du pays.

« L’École du goût, située à Brandenbourg, est un projet interdisciplinaire, porté aujourd’hui par trois parcs naturels luxembourgeois. Elle offre à tous les âges un accès à une culture alimentaire saine et durable », détaille André Loos.

Sam Mille
Sam Mille

Sam Mille constate lui aussi ces efforts sur le terrain. « Il y a beaucoup de discussions avec Restopolis, notamment dans les cantines scolaires. Ils privilégient les produits luxembourgeois, souvent bio. On sent qu’il y a une vraie volonté de mettre nos produits en avant. »

André Loos évoque aussi un travail étroit avec Restopolis pour augmenter la part de produits locaux dans les repas scolaires, notamment dans les lycées. « C’est un levier important : soutenir les circuits courts, garantir une alimentation saine et sensibiliser dès le plus jeune âge. »

Dans les entreprises, les partenariats se développent, parfois soutenus par l’État. Le Moulin de Kleinbettingen, Compass Group ou encore La Provençale travaillent avec des producteurs locaux. « Nous avons mis en place un régime d’aide spécifique pour les entreprises de transformation et de commercialisation, en lien avec Luxinnovation et le ministère de l’Économie », poursuit André Loos. « Il est essentiel de renforcer les chaînes de valeur locales. »

Sam Mille complète : « On a des structures solides comme Luxlait, les Vinsmoselle ou encore l’abattoir d’Ettelbruck. Ce sont des piliers qui permettent de faire vivre toute une économie locale. »

Dépendance extérieure : une marge de progression

Les deux interlocuteurs le reconnaissent. L’autosuffisance alimentaire du pays est encore loin d’être atteinte. « Le Luxembourg est très fort dans la production laitière et de viande, mais pour les fruits et légumes, on dépend encore beaucoup de l’étranger », admet André Loos. Un projet de loi pour favoriser les grandes serres est actuellement en cours d’examen.

« La moitié des terres agricoles du pays sont des prairies permanentes. Pour les valoriser, nous avons besoin d’élevage », précise-t-il. « Cela conditionne fortement notre modèle agricole. »

Côté terrain, Sam Mille observe les mêmes limites. « Oui, on reste dépendants de certains produits, comme le soja pour l’alimentation animale, les engrais ou les produits phytosanitaires. Mais nos vaches mangent surtout de l’herbe et du maïs produits sur nos champs. L’agriculture reste un circuit, même si certains éléments viennent de l’extérieur. »

Les jeunes agriculteurs face aux défis de la profession

La relève agricole est au centre des préoccupations. Sam Mille est direct. « Ce métier, on ne le fait pas si on doit le faire, mais si on veut le faire. Il faut avoir la passion. Sinon, on ne tient pas. »

Le constat est sans appel. Au Luxembourg, comme ailleurs en Europe, les vocations se font rares. « Ce n’est pas un métier qui offre un bon équilibre entre travail et vie privée. Quand il faut travailler, on travaille. Et cela décourage certains jeunes. »

Pour tenter d’inverser la tendance, le gouvernement a mis en place des aides à l’installation. « Les jeunes de moins de 40 ans peuvent bénéficier d’une prime à l’installation et de soutiens supplémentaires pour les investissements. Afin de soutenir le renouvellement des générations,un plan d’action est en préparation suite à une table ronde avec de jeunes agriculteurs », précise André Loos.

La sensibilisation passe aussi par l’éducation. « Chaque année, nous organisons des opérations fermes ouvertes et accueillons des enfants dans nos exploitations. C’est important de reconnecter la population avec notre métier », insiste Sam Mille. « Aujourd’hui, les gens connaissent de moins en moins nos méthodes. Il y a 50 ans, chacun avait un agriculteur dans sa famille. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

André Loos
André Loos - © Fanny Krackenberger

Un dialogue apaisé entre terrain et institutions

Alors que la France et la Belgique ont récemment connu de fortes mobilisations agricoles, le climat est resté plus calme au Luxembourg. Sam Mille y voit une question de culture mais aussi de méthode. « On ne veut pas trop ennuyer les gens. Ce n’est pas leur faute si on a des problèmes. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne manifestera jamais. »

Pour André Loos, c’est notamment le dialogue qui fait la différence. « Il y a une très bonne entente entre la ministre Hansen et les agriculteurs. Elle a déjà organisé deux Landwirtschaftsdësch et un Wäibaudësch – tables rondes – pour écouter, échanger et trouver des solutions. » Il évoque également les échanges avec le commissaire européen à l’Agriculture et au Développement rural Christophe Hansen et le Premier ministre Luc Frieden sur des dossiers sensibles comme le Mercosur (zone de libre-échange qui regroupe plusieurs pays de l’Amérique du Sud : Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay et Uruguay).


« On ne fait pas ce métier pour le salaire ou pour les horaires. On le fait parce qu’on y croit. »

Sam Mille, représentant du Service Jeunesse affilié à la Centrale paysanne

Regards tournés vers l’Europe et l’avenir

La Politique agricole commune (PAC) reste une boussole incontournable. « On discute beaucoup de la simplification de la PAC pour alléger la charge administrative. L’idée, c’est que les agriculteurs soient plus sur leurs terres que devant leur ordinateur », affirme André Loos.

Sam Mille, de son côté, attend de voir. « On ne travaille pas encore vraiment sur la prochaine PAC, mais ça ne va pas tarder. On espère que les discussions se feront dans de bonnes conditions. »

Enfin, les enjeux liés à l’agri-photovoltaïque (Agri-PV) et à la pression foncière sont sur toutes les lèvres. Le Luxembourg cherche à préserver ses bonnes terres tout en produisant de l’énergie. « Il faut trouver un équilibre entre loger les gens et les nourrir », résume André Loos.

« Le foncier reste l’un des sujets les plus sensibles. On a de moins en moins de terres agricoles. La pression de l’immobilier est énorme », ajoute Sam Mille. « Mais on espère pouvoir continuer à faire notre métier dans des conditions correctes, avec le soutien de tous. »

Sébastien Yernaux
Photos : Fanny Krackenberger
Extrait du dossier du mois « inTERREdépendance »

En un clic :
www.landwirtschaft.lu
https://regionalsaisonal.lu/fr/

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Publié le mardi 20 mai 2025
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