Les patients doivent-ils attendre 20 ans pour bénéficier des acquis de la recherche médicale ?

Les patients doivent-ils attendre 20 ans pour bénéficier des acquis de la recherche médicale ?

Comment combler le fossé entre les connaissances acquises par la recherche et l’utilisation qui en est faite dans les programmes de santé ? Telle est la question que se sont posés les intervenants de la conférence organisée par Médecins Sans Frontière le 24 février dernier à la Maison de l’Europe. Parmi les solution envisagées : la recherche opérationnelle.

Au début des années 2000, le Malawi comptait un million de personnes vivant avec le VIH-Sida. Faute de pouvoir bénéficier d’un traitement anti-rétroviral, 100.000 Malawites mouraient chaque année du sida. A travers son programme de recherche opérationnelle, MSF Luxembourg est parvenue à montrer de façon précise comment il était possible de fournir rapidement et simplement des anti-rétroviraux à 500.000 habitants d’un district rural du Malawi. Aujourd’hui, plus de 650.000 patients malawites ont accès aux anti-rétroviraux. Voilà le véritable rôle de la recherche opérationnelle : trouver des solutions concrètes et applicables pour améliorer les projets, notamment en favorisant l’accès aux soins de santé.

Dans le domaine de la santé, les résultats de la recherche sont trop souvent dissociés des pratiques médicales sur le terrain, particulièrement dans les pays en développement. Il subsiste un fossé énorme entre les nouvelles connaissances scientifiques, les innovations techniques, la mise au point de nouveaux médicaments et leur utilisation dans les centres de santé, les hôpitaux et les communautés des pays à revenu faible et intermédiaire.

En pratique, la durée nécessaire pour mettre en application les solutions trouvées par la recherche est beaucoup trop longue. En moyenne, dix à vingt ans peuvent s’écouler avant que la solution préconisée par la recherche ne profite réellement aux patients.

Pourtant, il est possible de réduire la durée qui sépare les découvertes scientifiques de leur mise en pratique. C’est ce que démontre l’unité de recherche opérationnelle de MSF basée au Luxembourg depuis 2010. « La recherche opérationnelle joue un rôle essentiel pour faire le lien entre la science et la pratique », explique Paul Delaunois, directeur général de Médecins Sans Frontières. « Dans le domaine médical, elle permet d’avoir un impact direct sur les pratiques et les politiques de santé, particulièrement en Afrique et en Asie ».

53 milliards d’euros de soutien

MSF LuxOR (Luxembourg Operational Research) mène des études opérationnelles sur le terrain dans les programmes médicaux de MSF, afin d’améliorer la qualité des services de santé proposés par l’organisation. Des études publiées par MSF ont été à l’origine de changements de directives internationales et nationales. Le Dr Rony Zachariah, coordinateur de LuxOR, expose l’impact réel que la recherche opérationnelle peut avoir : « En 2012, au Burundi, une étude menée par LuxOR a révélé qu’il est possible de réduire rapidement et significativement la mortalité maternelle de 74 pour cent en assurant l’accès aux soins obstétricaux d’urgence grâce à l’introduction d’un système d’ambulances qui transfère vers l’hôpital référent les futures mères ayant une grossesse à risque. Le modèle de soins obstétricaux d’urgence développé au Burundi à la suite de ces travaux a permis d’éviter à un nombre significatif de mères de mourir de complications liées à la grossesse ».

Une enquête menée en 2013 par MSF LuxOR et l’Union Internationale Contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires (l’Union) montre que, sur 88 publications de recherche opérationnelle, 74% d’entre elles ont eu un impact direct sur les directives ou les pratiques de santé.

L’Union européenne a investi cinquante-trois milliards d’euros en soutien à la recherche médicale entre 2007 et 2013 dans le cadre du septième programme pour la recherche et le développement technologique (FP7). Aucun dispositif n’est cependant prévu pour soutenir la recherche opérationnelle, en dépit du fait que celle-ci présente des résultats prometteurs pour des milliers de patients.

Investissements et promesses

Il est nécessaire d’investir directement dans les structures existantes de recherche opérationnelle telle que l’ Initiative pour la recherche et la formation en recherche opérationnelle (SORT IT), initiée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). En effet, les patients ne peuvent attendre vingt ans avant de pouvoir profiter des solutions existantes. SORT IT, dont MSF LuxOR et l’Union sont partenaires, a obtenu des résultats probants. Cette initiative vise à améliorer les systèmes de santé publique à travers la recherche intégrée et le développement des compétences grâce à la formation en recherche opérationnelle. Le programme a d’ailleurs déjà permis de former 212 professionnels de la santé à travers le monde.

Intégrer la recherche opérationnelle dans les programmes de recherche de l’Union européenne permettrait de rapprocher les organisations compétentes en recherche opérationnelle des programmes de santé publique au profit des patients, mais aussi de développer les compétences en recherche opérationnelle sur le terrain en renforçant les partenariats Nord-Sud mais aussi Sud-Sud et dynamiser le programme SORT IT pour en faire un outil incontournable des programmes de santé au niveau mondial.

Le député européen Charles Goerens souligne pour sa part le besoin de soutenir la recherche opérationnelle au niveau européen. « Il y a actuellement des investissements importants en matière de recherche médicale au niveau européen, ainsi qu’une promesse des Etats européens pour l’aide au développement dans les pays à revenu faible et intermédiaire. La recherche opérationnelle est le maillon qui fait le lien entre ces actions et permet d’assurer une bonne utilisation des investissements » , explique Mr Goerens.

Le rapport annuel 2013 de l’Organisation Mondiale de la Santé La recherche pour la couverture sanitaire universelle (dans lequel MSF et L’Union sont impliqués en tant qu’auteurs principaux) recommande que tous les pays, y compris les pays en développement, puissent mener la recherche opérationnelle au sein de leurs systèmes de santé nationaux, et que cette recherche s’étende aux ONG ainsi qu’au secteur public. Le rapport a d’ailleurs présenté deux études de MSF LuxOR pour illustrer le fait que la recherche opérationnelle bénéficie directement aux patients : une étude basée sur les soins obstétriques d’urgence pour réduire la mortalité maternelle au Burundi, l’autre sur l’utilité de la télémédecine en Somalie dans une région en guerre.

Le 4 mars, le Parlement européen organisera un séminaire, intitulé : Interventions et stratégies pour améliorer les programmes de santé : le rôle de la recherche opérationnelle dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Le député européen Charles Goerens participera à la discussion afin de souligner le besoin de soutenir au niveau européen la recherche opérationnelle.

Communiqué par MSF Luxembourg

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Publié le mardi 25 février 2014
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